Fourmillant récit d’un Paris tout entier occupé par l’agonie, la mort puis les funérailles du grand homme, Victor Hugo vient de mourir redonne corps et âmes à des personnages baignés, chacun à sa façon, par la lumière de l’astre qui s’éteint.
Ombres et mouchoirs
Quelque part sur une île grecque, un homme parle à son ami. Ils ne sont pas exactement ensemble, au sens où l’homme est seul dans la pièce. C’est à une photographie qu’il s’adresse.
Sur la photo, Jean-Marc Roberts, éditeur et auteur. Qu’à donc de si important à lui dire son ami, Vassillis Alexakis, écrivain grec exilé à Paris, qu’il ait eu l’envie de nous le faire partager durant 400 pages ?
Berl, ce raté magnifique
« Ma vie ne ressemble pas à ma vie ». Cette forte sentence ouvre Sylvia, récit qu’Emmanuel Berl fait paraître en 1952. Henri Raczymov ne manque pas aujourd’hui d’en rajouter : « on ne saurait définir Berl que par ce qu’il n’est pas ».
Qui est donc ce drôle de personnage en pointillés, dont la vie s’ouvre avec les pantoufles que Proust lui jette au visage, et se clôt allongé dans son lit, occupé à distiller avis et anecdotes à de considérables confidents (Jean d’Ormesson et Patrick Modiano en tête) ? Quel est cet homme porté au pinacle par de nombreux contemporains et dont, pourtant, l’actuel purgatoire doit être comme un asile à sa mesure, lui qui considérait que « la grâce, c’est toujours l’autre » ?
Moi, qui me racontera ?
(nouvelle parue dans le recueil collectif « Poussières du monde », dirigé par Emmanuel Lemieux, et dans lequel « les gens sont des romans »)
Ces jours-là, il fallait ouvrir les yeux un peu différemment.
Laisser les teintes de mélancolie et la pagaille des sentiments de côté. Concentrer son regard sur une chose, son esprit sur un nom, son corps même sur un but.
Pourtant, tout en apparence avait la même saveur moite, et la ville semblait s’ébrouer comme de coutume. Les voisins communiaient dans le même mutisme bête, des bruits étouffés parvenaient avec les mêmes accents psalmodiés, et les mêmes nappes sonores berçaient l’oreille, petite musique de l’aube tissée de radios dyslexiques, de moteurs langoureux et de cris cotonneux poussés par des noceurs en quête de repos.
Les quatre murs du gîte abritaient le même rêve brisé, et disaient pareillement le fol espoir de naitre.
Mais ces jours-là, décidément, il fallait vivre.
Le monde est clos, et le désir infini
A n’en pas douter, Daniel Cohen a un problème avec la croissance.
Moyen devenu fin comme on l’entend souvent, celle-ci, plus loin encore, serait désormais selon notre auteur rien moins que notre nouvelle religion, la recette qu’aurait (enfin) trouvé l’homme pour « s’arracher au tourment d’exister ».
Une religion qui, comme toutes les autres, ne se gêne en rien pour dévorer ses propres enfants, et dont les conséquences vont s’aggravant sans cesse pour ses modernes disciples : insécurité économique installée au coeur du système, émergence d’un modèle numérique « à coût zéro » dont les effets sont dévastateurs et tension nerveuse généralisée sont là les principaux symptômes.
Entendons-nous d’emblée sur l’essentiel : ce que remets en cause le directeur de l’école d’économie de Paris n’est pas la croissance en tant que telle (il n’est pas un adepte de la décroissance) mais sa position et son intensité. Son intensité, c’est à dire l’idée d’une croissance à plusieurs chiffres, condition de cette reprise (sortie de crise) toujours attendue et jamais atteinte. Sa position, c’est à dire la croissance pensée comme principal facteur de progrès.
Mesurer, c’est gouverner
La question n’a cessé d’agiter les esprits, depuis que la dramaturgie savamment réglée de la crise grecque a trouvé son (provisoire) épilogue : accord historique ou simple épisode dans la morne litanie des rendez-vous manqués qui, depuis plusieurs décennies, défigurent l’Europe en croyant la façonner ?
Si, comme le fait remarquer Manuel Valls, marquant d’ailleurs non sans malice le caractère exceptionnel de la chose, notre Président s’est hissé « à la hauteur de l’Histoire », il s’agirait de savoir laquelle. On chercherait en vain ce qui, dans l’amère potion difficilement avalée par Tsipras, et à travers lui son peuple, mérite ainsi ces enluminures de haute facture.
Rien en effet dans ces mornes recettes qui sorte du pâle ordinaire comptable dont on mesure jour après jour, chiffre après chiffre, nouvelle après nouvelle, à quel point il est mortifère pour notre continent, et pour ses habitants.
Pour mieux vous en convaincre, plongez-vous dans le dernier essai d’Eloi Laurent et Jacques le Cacheux, dont l’ambition est rien moins que de dessiner un nouveau monde économique.
La plume derrière le masque
Il est sûrement des moments plus propices que d’autres pour relire sa vie. Lorsque l’on est sur le point d’y mettre fin, par exemple.
Le 8 juin 1979, Jean-Louis Bory trace le portrait de cet être en lui qu’il a toujours escamoté aux regards des autres, même les plus proches : « je débusquais en moi, sous la défroque clinquante du « brillant jeune homme », le vieil imposteur, le tricheur à qui la verve et la rapidité de son débit, sinon de son intelligence, ont permis de jeter de la poudre aux yeux d’un public étourdi par ses astuces de bonimenteur et de parade foraine« .
Le 11 juin, de retour dans sa retraite de Méréville, il tirait deux coups de feu en forme d’épilogue à cette double existence : d’abord au plafond, puis droit dans le cœur.
Vivre est une oeuvre collective
Valentine GOBY : « Kinderzimmer » (Actes Sud ; 2013, 224 pages, 20 euros) ; Marc VILLEMAIN : « Ils marchent le regard fier » (Editions du Sonneur ; 2013, 96 pages, 13 euros)
C’est parfois par la fiction que l’on juge le mieux des ressorts du monde.
Tapie dans les recoins les plus banals de nos vies, prête à gagner davantage à chaque soubresaut de nos sociétés, la noirceur des êtres est, autant que leur lumière, une part insondable du mystère humain.
Deux livres nous le rappellent aujourd’hui avec un rare talent.
Avenues du souvenir
C’est une belle et tragique histoire. Et comme dans toutes les belles et tragiques histoires, il y a un héros. Acteur et victime à la fois, traversé de mille contradictions, hésitant sur son destin mais inflexible sur ses principaux traits, ce héros est fait de fulgurances et de doutes, de lutte et de silence, de grandeur et de petitesse. Allende, Castillo, Dorfman, les trois livres évoqués ici tournent autour de ce personnage principal, le scrutent et l’interpellent, tentent de le piéger, de l’émouvoir, de le saisir, pour tous enfin se réfugier dans la certitude de lui appartenir. Le peuple chilien, ce « pueblo » fier et meurtri, élégant et lâche, coupable et sacrifié, cette petite multitude de 15 millions d’âme qui aujourd’hui encore, en cet anniversaire de la mort d’Allende, semble danser d’un drôle de pas autour des miroirs qu’on lui tend, voilà le héros de cette histoire. Et qui peut se targuer de savoir tout d’un peuple ?
Braconnier de l’éphémère
Olivier BAILLY : « Monsieur Bob » (Ecrivins; Stock; 14,50 euros)
Robert GIRAUD : « Le vin des rues » (Ecrivins; Stock ; 15,50 euros)
Jean-Paul CLEBERT : « Paris insolite » (Attila ; 22 euros)
Philippe MEYER : « Un Parisien à travers Paris » (Robert Laffont ; 17 euros)
En ce temps là, coude au comptoir, l’on savait être facétieux. A l’heure de commander, vous pouviez sans indisposer quiconque opter pour un staline, un socialiste, un chômeur ou un mendès, soit un verre de vin rouge, un rosé, un verre d’eau ou un demi de lait. Les mélanges étaient déconseillés (l’Histoire a prouvé qu’ils n’étaient pas toujours digestes) et quelque soit la combinaison, l’épilogue était écrit d’avance. Une affichette fort opportunément placée au dessus du bar vous le redisait en terme simples : « Surtout n’oubliez pas de payer. Même si vous buvez pour oublier ». Lire la suite